Et si on ne tournait plus autour du pot ?




 

 

Un rappel, non à l'ordre, je n'oserais, non, mais seulement un  rappel de l'événement qui agite le landerneau sous les cocotiers à La Réunion : la Commission Nationale des Comptes de Campagne (la CNCC) a jeté son verdict : Thierry Robert, député-maire de Saint-Leu, n’a pas répondu à l’exigence d’exhaustivité édictée par l’article L. 52-15 du code électoral  et, de plus, il a bénéficié d’un concours en nature de personne morale. D'où le rejet des comptes de campagne pour les municipales. Voilà Thierry Robert tout subitement par terre, sur la touche, lui qui était au pinacle ! Le volcan l'a pété !

On ne nous dit pas tout, dirait la très respectueuse CNCC, singeant Anne Roumanoff. Bref ! Thierry Robert, le grand cachotier, a franchi le Rubicon, en fait, une petite rivière presque asséchée, mais il l'a fait ostensiblement, avec l'appui de son autobus bariolé, mis en bon état par les employés de la commune, un bus de la collectivité. Le gros délit est là, je pense. La CNCC n'est pas très bavarde à ce sujet; elle, elle n'est pas tenue à l'exigence d'exhaustivité; on ne nous dit pas tout, lui rétorquerait le dieu Echo. Crier au voleur, c'est trop vite dit, car voler devant tout le monde, c'est seulement grappiller au passage.

Mais pourquoi, diable, Thierry Robert a-t-il inventé son cheval de Troie pour conquérir la mairie de Saint-Leu, alors que tout le monde savait qu'il allait gagner haut la main, sans coup férir. Le bilan eût été un peu moindre, peut-être 65% au lieu des 75% des votants. Et pourquoi a-t-il oublié le MISOUK, absolument incontrôlable par la CNCC ? Le misouk pourtant si bien connu à La Réunion, si bien pratiqué. Des maires, sous son tropique, connaissent les bonnes ficelles. Ils ont du métier. Il faut recourir à des agents dociles et discrets de sa propre paroisse, à des associations, bien rémunérées qui feront le boulot, au CASS tout disposé à se tracasser pour son maire, à des personnalités qu'on reçoit  au bon moment et qui feront jaser très favorablement les journaux locaux, etc. etc.  La clé du succès, c'est la discrétion qui permet d'échapper aux serres de notre cruel rapace, la CNCC. Mais, diable, un bus bariolé ! Pourquoi s'est-il jeté dans cette galère, ce Thierry Robert, dirait Molière ? Le bus n'a pas pu échapper aux regards des magistrats, placés bien haut, au ciel, dans l'hémisphère boréal, sous un nuage bien noir, qui permet habilement de faire son petit tri sélectif, loin des cocotiers, et du reste, à l'aide d'un trieur péi, qui connaît bien sa matière.

Et Yvan Combeau et Pierrot Dupuis, tous deux hautement respectables, ont soulevé un très gros lièvre : la sentence de la CNCC arrive bien tard, juste au bon moment pour empêcher Thierry Robert de se présenter aux Régionales. Il y a comme un doute. On tourne autour du pot. L'exhaustivité n'est pas au rendez-vous. On reste sur un non-dit. On ne nous dit pas tout, si on ose reprendre le refrain de Roumanoff.

Eh bien l'ancien gardeur de vaches que je suis ose donner son avis sur ce non-dit. Je dis tout ce qui me trotte par la tête, avec le bon  sens paysan, que j'ai acquis en gardant mes vaches. Mais on est libre de rejeter ma petite hypothèse et de m'envoyer paître au milieu de mes bêtes à cornes.

Je ne parle pas de complot, comme d'autres l'ont fait dangereusement : non, car ce vilain mot risque de troubler profondément les âmes sensibles et de donner du fil à retordre à tous les cardiologues de La Réunion. Ce très vilain mot entache aussi beaucoup trop la blancheur immaculée de nos hermines. Non, je sais ménager la chèvre et le choux, je sais rendre à César ce qui est à César, et à la CNCC ce qui est à la CNCC.

J'ai ma petite idée. Il est fort probable que la CNCC ait été victime de la fouére, la diarrhée vendéenne, autrefois soignée par le docteur Diafoirus, et que, l'un passant la maladie à l'autre, on n'ait pas pu se réunir. Il y a eu un empêchement dirimant. La faute à un très vilain rétrovirus qui se promène dans les intestins pendant 12 jours et qui exige 12 jours de convalescence, à son départ ! Et il a fallu attendre la fin de la longue épidémie pour convoquer le ban et l'arrière ban. Je rêve peut-être; et il est vrai que jadis, dans mon pré, je n'avais que des lectures qui cultivaient le rêve, entre autres, la mare au diable, quelques lettres d' Usbeck, le fils adoptif de mon cher Montesquieu, lettres fanées dans mon pré. Mais pas de livre rouge, celui que compulsent les juges pour éviter de devoir tirer les dés au final.

D'ailleurs un bouvier du pré voisin, qui l'avait compulsé, ce livre, pour ainsi dire, à géométrie variable, un bouvier, dis-je, titulaire du vieux certificat d'étude, qu'on décrocherait maintenant après  douze années d'études supérieures, oui, ce bouvier, je ne l'ai pas oublié, m'a dit que ce qu'on y lit change à tout instant. Pour tel délit, on est passible de la peine de mort; pour le même, quelques mois plus tard, on se trouve sur les genoux de Dame Taubira.

Et donc, par précaution, je ne le lis pas de crainte d'y perdre mon précieux latin. Loin de moi l'intention de vouloir marcher sur la loi, comme font certains. Je me contente de marcher à côté, bien respectueusement. Le légal ne fait pas mon régal. Ce qui compte à mes yeux, c'est le légitime, la loi du bon sens. Le légal est trop souvent habilement arrangé pour le bonheur de certains, comme l'est le bon rhum tropical pour d'autres. Ainsi les députés se votent leur budget, le ventilent à leur gré, se ménagent, par exemple, une bonne retraite et ils réduisent, sans vergogne, celle des autres. Les sénateurs font de même de leur côté, avec le même enthousiasme. Chacun le sait : on n'est jamais aussi bien servi que par soi-même. Et ce beau monde a beau se chamailler rudement, tous s'entendent comme larrons en foire, quand ils traitent de leurs lois qui les touchent personnellement, de leurs privilèges, disent de méchantes langues. Ils servent assez bien leurs amis, les haut fonctionnaires, eux aussi à l'abri de la crise actuelle qui touche les autres mortels.

Mais les députés poussent le bouchon beaucoup plus loin : ils métamorphosent les sénateurs en misérables Pénélopes : ils défont ce qu'on a fait en suant sang et eau dans le beau palais du Luxembourg. Il y a de quoi faire de belles dépressions. Jamais, en réalité, car tout le monde est bien payé et bien nourri dans son Fouquet's respectif. J'en suis bien soulagé, et mon coeur, je le sens, reprend son rythme sinusal.

Mais revenons à nos moutons, les vénérables membres de la CNCC. Une vilaine âme ose dire qu'il y a eu connivence avec Sarkozy qui les a nommés à ce grade si prestigieux. Mais ils ont sanctionné leur bienfaiteur - une belle vacherie, mais il est vrai, un bienfaiteur plus riche que Crésus : un million pour lui, c'est un petit sou pour votre serviteur - La vilaine âme ne s'en laisse pas compter comme cela et de répliquer, implacable : Sarko reste de marbre car c'est l'UMP qui a payé; un an d'inéligibilité, c'est sans importance, la sanction tombe pendant ses grandes vacances. Et Sarko ne perd pas son temps. Au contraire, c'est une aubaine : il fourbit ses armes pour les rendre invincibles. Le voilà déjà président de l'UMP; il va être candidat à point nommé et il compte sur Didier Robert à la tête de la Région Réunion pour l'appuyer aux présidentielles. Un retour d'ascenseur est bienvenu, il s'impose. Et blabla, blabla ! C'est très vilain de penser tout cela : un Sarko, très fin calculateur, de surcroît, chanoine de Latran, c'est I M P E N S A B L E.

Et moi, j'en reviens à mon mouton : c'est la fouére qui explique tout, c'est la fouére qui lave plus blanc que blanc. Parole de bon sens ! 

Quoi que puissent dire quelques mauvaises langues, on est bien dans un Etat de Droit. C'est l'essentiel !

 Gérard Jeanneau, ex gardeur de vaches (bouvier, un jour, bouvier, toujours).
  
  

 Gières, le 10 décembre 2014

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