Monsieur le député,
Après avoir gardé mes vaches, j'ai eu l'honneur de battre (la) campagne
pour toi avec le succès que tu connais. Je ne demande rien en retour,
pas même un strapontin, contrairement à ceux qui gravitent autour de
toi et qui veulent le beurre et l'argent du beurre. Je veux seulement
te dire tout ce que je pense, avec la plus grande franchise, avec mes
gros sabots, sans circonlocution, histoire de pouvoir un jour, par tes
soins attentifs, auréoler un peu mieux Dame Marianne qui porte
actuellement chez nous des vêtements bien trop délavés, bien trop
froissés. Et cela dans un Etat de droit, qui ne va pas bien droit. Horribile dictu !
dirait Cicéron, mon grand ami, que je sers de mon mieux sans être digne
de délier la courroie de ses souliers, mais l'ennemi juré
d'une certaine Belkacem qui aimerait bien le précipiter du haut de la
roche Tarpéïenne. J'en ai très gros sur le coeur, de tout cela. Lis
attentivement mes doléances. Je te les fais parvenir par internet :
plus besoin de cahier de doléances ! Je suis de mon temps et
pardonne-moi si, d'une phrase à l'autre, je passe du coq à
l'âne.
Tout récemment, tu as crié au scandale : trop d'abstentionnistes ! Mais
réfléchis un peu pour une fois : tu es un pyromane qui crie au feu !
L'électeur qui se déplace pour voter blanc constate que son bulletin
n'est pas comptabilisé parmi les suffrages exprimés. Et pourtant son
vote exprime quelque chose : on montre soit qu'on ne vote ni
pour
la peste ni pour le choléra, soit qu'on délivre un message de
protestation. Cet électeur s'est pourtant bien exprimé et tu le frappes
d'ostracisme, pour ainsi dire; son bulletin compte pour du beurre; il
va tout droit dans la poubelle de la pauvre Marianne. Ton comportement
est très, très vilain : c'est comme si, à ce diable de votant, tu lui
plaquais ta main sur la bouche en hurlant comme un veau : "tak out bouce".
Et beaucoup
d'abstentionnistes aimeraient bien faire entendre leur voix; mais, très
vachement, tu
leur coupes l'herbe sous le pied. Actuellement, grâce à ta loi, celui
qui veut protester en utilisant l'urne - presque funèbre - n'a plus
d'autre recours que de voter pour Marine Le Pen ou pour Mélenchon.
Après, tu vas pleurer comme une Madeleine dans ta chaumière en criant :
le FN est le premier parti de France. Mais en réalité, le premier
parti, c'est l'abstention. Ouvre
out cannette,
te dirait un bon Créole.
Le remède est simple : considérer le vote blanc comme un vote
en bonne et due forme; et des abstentionnistes viendront enfin voter,
sachant qu'ils
peuvent exprimer quelque chose, et ce quelque chose n'est pas rien :
on rejette le programme de X, Y ou Z ! Et l'on doit annuler un scrutin
lorsque les bulletins blancs sont majoritaires car, élu dans ces
conditions, on ne serait
pas représentatif ! Le programme sanctionné de la sorte est à mettre
bien au fond de la poubelle de Marianne.
Si, comme je l'entends, tu refais les calculs de la dernière élection
de ma patrie d'adoption, tu constateras que Didier Robert a été élu par
moins de 10% des Réunionnais en âge de voter et, fort de cette infâme
légalité, il nous fait avaler ses couleuvres, entre autres, une NRL en
pleine mer, au bas mot, à 2 milliards d'euros. Au bas mot ou aux bas
maux, c'est au choix. Et pour cela, il met à sac ma patrie d'adoption :
des carrières ouvertes partout dans mon île adorée. Ça me fend le
coeur, dirait Pagnol s'il voyait le pillage. Et
mon Didier-péi,
le Didier 10% des cocotiers, est
plus fier qu'un paon après cette victoire à la Pyrrhus. Pour un peu, il
ferait la roue !
Députés et sénateurs - nos nouveaux seigneurs - votent leur propre
budget, ce qui leur permet de se ménager, entre autres, une retraite en
or; et pour les malheureux qui perdent leur mandat, c'est un parachute
doré qui les attend ! On n'est jamais aussi bien servi que par
soi-même. Raboter tout cela de 20%, ce serait participer à l'effort
national. Il faut cesser de jouer aux seigneurs. Tu me diras - car tu
ne manques pas de bagout - que c'est entériné par le Conseil d'Etat;
mais du tac au tac, je te pose la question : "Mais
qui donc a élu ces
personnages-là et que faisaient-ils auparavant ?"
J'attends ta réponse.
Et tu remarqueras que tu rabotes sans pitié la plèbe alors que chez
toi, c'est le contraire, les indemnités des seigneurs provinciaux ont
tendance à augmenter dans la France d'en bas. Un poids
et deux mesures.
Et l'actuel suzerain de l'Elysée, le pauvre, s'était promis de
supprimer les inégalités. Je ne savais pas qu'il savait manier
l'antiphrase ! Il les a creusées; et voilà les riches plus riches, les
pauvres plus pauvres; maintenant, j'ai tout compris : la promesse sera
tenue
... pour le jour où mes
poules auront des dents.
Députés et sénateurs se votent une IRFM (indemnité représentative de
frais de mandat) : plus de 6000 euros par mois, somme non imposable,
qu'ils redistribuent auprès d'associations ou autres, moyennant retour
de l'ascenseur, selon le bon adage : "Je
t'arrose, tu m'arroses (en
faisant voter pour moi) ! " On sait entretenir
sa clientèle, comme au
temps de Cicéron. Le remède à cette perversité : il faut la verser
intégralement pour la lutte anti-terroriste, pour la protection de tous
les Français, blancs, noirs et jaunes - à vrai dire, les blancs à qui
j'ai donné la priorité seront moins nombreux au fil des années. Plus
tard, pour faire plaisir au CRAN, il faudra inverser : noirs, jaunes et
blancs.
Les élus nationaux ou non ont la fâcheuse tendance à cumuler.
Il
faut calmer la voracité pantagruélique de ces pilleurs de notre pauvre Etat. On a fait
un petit effort; on a écrêté, mais si peu que rien, bref, une
mesurette, de la poudre de perlimpinpin. Je salue tout de même ce
petit effort
laborieux mais la perversité transparaît encore trop nettement. Le plus
simple, c'est
de n'accorder qu'une seule indemnité pour un seul mandat, les autres
mandats étant assurés gracieusement. Il faut suivre dame Nature : j'ai
constaté, dans mon pré, qu'un veau ne peut pas téter deux vaches à la
fois.
Des élus nationaux ou non sont passés sous les fourches caudines de
dame Justice; ils ont été condamnés comme pilleurs de nos deniers
publics ou complices. Et ces truands exercent encore leur talent, alors
qu'un
fonctionnaire qui n'a plus son casier judiciaire vierge est radié
d'office et à vie. C'est être complice d'un truand que de l'accepter
dans ses rangs. Je suis
pour la même justice pour tous : nous
lé pas plus, nous lé pas moins.
Un candidat à une élection doit
présenter un casier judiciaire vierge tout comme le candidat à la
fonction publique : il faut être blanc comme neige, comme le candidatus romain qui
menait campagne vêtu d'une toge passée à la craie. Mais pour
le moment, on continue encore à
faire un joli bras d'honneur à dame Justice ! Quousque tandem abutere patientia
nostra
?
dirait encore mon ami Cicéron.
Avec tes compères et commères, fais en sorte que, dans notre pauvre
république, vous, vous ne soyez plus de fieffés fripons et
que
nous, grâce à vous, nous cessions enfin d'être vos dindons farcis après
avoir été soigneusement plumés et puissions enfin mettre notre poule au
pot tous les dimanches, comme au temps de Henri IV. Et enfin dame
Justice sera fière d'arborer sa bonne balance.
Au travail, cette fois, et, comme dit le bon Créole de mon entouraze,
ouvre out cannette et bouze out fesse et vitement car,
au fond de ma campagne, je crois entendre le tocsin, l'annonce de la
mort de la Vème république : c'est le Didier
10% des cocotiers, qui, au bout de la
corde, agite la lugubre cloche.
En caressant ce bel espoir, je te prierais d'agréer, monsieur le
député, l'expression très respectueuse de ma très haute considération.
Gières, le 22 décembre 2015.
Gérard Jeanneau, ex-gardeur de vaches.
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Quelques liens pour
approfondir le sujet
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