Et qui est l'artisan de cette pétaudière ? C'est Patrick, mon voisin à l'étage juste au-dessus de mon studio. Dans notre jardin d'Eden, il se promène régulièrement pour contempler chacune des plantes, accompagné de sa chienne noire, Jade, la cigarette aux lèvres et, au besoin, une canette de bière à la main. Rien de répréhensible pour le moment. Mon bon Patrick est pétillant de santé; c'est logique, il n'a pas encore l'âge de la retraite, il est le plus jeune de la résidence. J'ai eu la malheureuse idée de placer mon scooter dans le jardin de la résidence Montesquieu sous mon balcon, à portée de vue. Et, sans signe d'ivresse, il me dit : "Vous êtes une merde". Voilà ces propos qui, bien sûr, m'ont laissé de marbre. Et la directrice de la résidence, à son tour, demande de ne plus circuler dans ce jardin avc le scooter, mais d'y circuler, comme tout le monde, à pieds. L'injonction est sans appel. Et pourtant mon scooter me sécurise, il me sert de déambulateur, je ne peux pas tomber sur ce sol qui n'est pas bien uni et qui a ici et là des aspérités. Oui, il me sécurise. La directrice, sans ôter ses œillères prêtées par son aimable gourou qui dicte sa loi en ce lieu, m'interdit d'utiliser mon scooter dans le jardin. Ce gourou se nomme Patrick Sirvent qui, d'ordinaire, débite une phrase qui lui plaît beaucoup : "Je m'en bats les couilles" Et ses jardiniers tiennent le même langage, tant est forte l'influence de ce gourou. Son entourage qui s'assoit à la même table dans le jardin pense comme lui, fatalement. Dans le jardin de la résidence, Patrick, déjà susnommé, tient avec ses quelques fidèles son bistrot privé, très privé. Un coin charmant où l'on a trois belles tables neuves. Oui, on y fume cigarette sur cigarette et on y consomme de l'alcool. En fin de soirée, on peut voir dans la poubelle à proximité, des canettes de bière, vides évidemment. C'est la belle vie, la fiesta. Rien d'illégal aux yeux de notre directrice. Seulement cela froisse sérieusement mon entendement : je viens régulièrement avec mon box de poche m'asseoir à la table, à côté, me brancher sur internet, l'intensité du signal étant excellent. Mais je reçois des bouffées de cigarette. La directrice, toujours sous l'emprise de son gourou, m'invite à aller plus loin sur une table (en plein soleil, sous la canicule). Elle sait soigner son monde. Bref, il ne faut pas déranger la fiesta, sa précieuse guinguette. Les trois tables doivent être réservées, semble-t-il, au petit cercle du gourou. Pour l'instant, il n'y a eu qu'un repas avec cuisson sur barbecue organisé par le gourou de la résidence; on y a débitté des canettes de bière et on y a fumé à volonté. Mais tous les jours, on ne voit que quelques résidents, 5 ou 6, s'appliquer à fumer ou à vapoter dans un silence religieux. Bien sûr, quelques résidents restent sagement chez eux, dans leur studio; d'autres se hasardent à aller dans le jardin et s'installent assez loin pour être à l'abri des volutes de fumée des fumeurs et des vapoteurs. Le bistrot se métamorphose alors en un fumoir, agréé par la directrice de la résidence Montesquieu. Pour faire une aimable concurrence au bistrot de Patrick Sirvent, gargote qui a les faveurs de la directrice de la résidence Montesquieu, il y aura bientôt le bistrot de mon ami Kamel, avec merguez halal. On n'y fumera pas, on y boira de l'eau comme au goûter de la résidence Montesquieu servi à 16 heures 30. Et mon ami Amar, bon berbère de Kabylie, comme Saint Augustin, proposera son couscous que l'on consommera, si l'on veut, avec un verre de rouge, comme lors du repas de midi à la résidence Montesquieu. On n'y fumera pas, là non plus.Tout sera parfaitement légal. En définitive, je sens que la malveillance pèse lourdement sur mes épaules et qu'elle ne soigne pas mon arythmie sévère. Pitié, je me sens à bout de souffle. Je me sens maltraité par la directrice de la résidence Montesquieu, sous l'emprise, il est vrai, du gourou, Patrick Sirvent. Je crois que la maltraitance cessera quand le Ciel m'ouvrira ses portes. Vivement ce jour béni ! Un mot sur mon arythmie complète, une tachyarythmie. Je prends du préviscan, un anticoagulant qui n'est pas sans danger. Faire une chute et c'est la porte ouverte pour une hémorragie interne, la porte ouverte pour rejoindre le Ciel. Suite à une chute sans gravité à deux pas de la résidence Roger Meffreys, j'ai acheté un déambulateur; je l'utilise à bon escient mais je privilégie mon scooter qui me sécurise, n'en déplaise à la directrice de la résidence Montesquieu, qui m'a dit que la marche est bon pour la santé. Je n'en disconviens pas, mais, dans ma situation, marcher sur un sol qui n'est pas uni peut être périlleux. Au demeurant, la directrice de la résidence Montesquieu est une excellente directrice mais, qui, me concernant, me remonte souvent les bretelles; il est vrai que je remonte volontiers les siennes, le sourire aux lèvres. Evidemment, je présenterai au commissaire de police le présent courrier, et, le jour venu, j'inviterai le bon juge à classer l'affaire : ma plume fort malicieuse est curative, elle soigne efficacement toutes mes misères. Il n'y a pas l'ombre d'un doute, la future directrice mettra fin à cette pétaudière et le gourou de Montesquieu quittera son costume de gourou. La sérénité va régner à nouveau dans notre beau jardin. Tout vient à point à qui sait attendre. A Grenoble, résidence Montesquieu, le 30 juin 2025 Gérard Jeanneau, professeur de lettres classiques, toujours en activité à l'Université de Louvain. n'en déplaise à : with all due respect to = avec tout le respect dû à. pétaudière guinguette altruisme haemorragia facture scooter électrique .
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